Apocalypse à la BNF en février 2025


QU'EST QUE L'APOCALYPSE?
L'apocalypse est d'ordinaire associée à un imaginaire de la catastrophe. Apocalypse guerrière, nucléaire, écologique, nous nommons ainsi toute catastrophe qui nous semble s'apparenter à une fin du monde.
Cette interprétation est surprenante quand
on revient à la lettre et à l'esprit du récit biblique: l'apocalypse, c'est littéralement, en grec,
la «révélation», le « dévoilement »; et le texte de Jean, s'il fait apparaître la menace de multiples fléaux, est surtout l'annonce du Royaume de Dieu, symbolisé par la Jérusalem céleste. Il faut comprendre
de la même manière la dimension « eschatologique >> du texte (du grec eschatos, <
pour mieux dessiner les contours de l'ordre nouveau qui doit lui succéder.
C'est à ce titre que ce récit a connu et connaît dans l'histoire des arts, jusque dans nos sociétés laïcisées, une fortune remarquable. La puissance de ses images, mise au service d'un message à la fois menaçant et consolateur, a cristallisé les peurs mais aussi la soif de justice de différentes époques, et donné corps à l'idée d'une réparation du Mal, sinon dans le présent, du moins dans l'avenir.
L'Apocalypse demeure ainsi, depuis deux mille ans l'un des plus grands récits symboliques de l'épreuve et de l'espérance; il est un arrière-plan et un horizon, une invitation a «nous souvenir de l'avenir».


JEAN, LE VISIONNAIRE
L'identité de l'auteur de l'Apocalypse a fait l'objet de diverses hypothèses. Dès l'Antiquité, il est ainsi assimilé par les Églises chrétiennes à saint Jean l'évangéliste. Cette attribution est aujourd'hui questionnée. On donne désormais souvent à cet auteur, faute d'une identification certaine, simplement le nom de Jean de Patmos - ou Jean le Visionnaire. Son importance réside en effet dans son rôle symbolique de témoin et sa parole prophétique: à l'écart du monde, Jean est celui qui peut voir les vérités cachées et les révéler. D'Arthur Rimbaud à Antonin Artaud, d'Unica Zürn à Laurent Grasso, poètes et artistes ont souvent repris, au sein ou hors du contexte religieux, cette position de vigie ou de voyant, au-delà du monde voilé des apparences. Les œuvres ici rassemblées appellent au courage de voir et faire voir ce qui est et ce qui vient.

Laurent Grasso (né en 1972)
Sans titre
10/10
2019
Bronze et verre
Courtesy de l'artiste et de la galerie Perrotin, Paris ADAGP, Paris, 2025

Gustave Moreau (1826-1898)
Saint Jean de l'Apocalypse
1896
Aquarelle
Musée national Gustave Moreau, Paris

Kiki Smith (née en 1954)
Guide
2012
Tapisserie Jacquard en coton, exemplaire 10/10
Courtesy Galerie Lelong & Co, Paris ADAGP, Paris, 2025
Kiki Smith réalise ses premières tapisseries après s'être rendue à Angers pour admirer la tenture de l'Apocalypse. Les oiseaux de Guide semblent un écho à l'Aigle de malheur également représenté dans la tapisserie d'Angers, qui annonce aux «habitants de la terre»> que les fléaux vont continuer à s'abattre sur eux après les quatre premières trompettes. Avec une certaine ambiguïté, ils peuvent aussi évoquer, comme figure de guide, saint Jean l'évangéliste, dont le symbole est l'aigle, rappelant les incertitudes sur l'identité de l'auteur de l'Apocalypse

Henri Michaux (1899-1984)
Sans titre
[Tête]
1939
Huile sur toile
Centre Pompidou, MNAM/CCI, Paris

Unica Zürn (1916-1970)
Sans titre
1965
Gouache et encre sur carte à gratter Musée d'Art et d'Histoire
de l'Hôpital Sainte-Anne, Paris

LE LIVRE DE LA RÉVÉLATION
Texte canonique, dernier livre du Nouveau Testament, l'Apocalypse a été composée vers la fin du le siècle de notre ère par un auteur judéo-chrétien qui se désigne lui-même comme Jean, et que la Tradition chrétienne identifie
à l'apôtre saint Jean, l'évangéliste. Ce texte déploie une succession de prophéties annonçant la fin d'un monde corrompu par le Mal et l'avènement sur terre du Royaume de Dieu sous la forme de la Jérusalem céleste. Loin de toute linéarité, passé, présent et futur s'entremêlent dans ces prophéties traversées par un apre et violent combat entre le Bien et le Mal, que structurent le chiffre 7 et diverses figures et objets symboliques.
Le fort ancrage allégorique du récit, la dramaturgie spectaculaire des visions et le substrat eschatologique (relatif à la fin des temps) du message font de l'Apocalypse l'annonce d'un nouveau monde, une sorte de cinquième évangile du futur. La fascination qu'elle a suscitée est à la mesure de son étrangeté et de son hermétisme. Très tôt, théologiens comme artistes, se sont emparés de ce texte et de ses tableaux visionnaires pour en faire le grand récit symbolique du destin de l'humanité.

Première Bible de Charles le Chauve
Saint-Martin de Tours, 845-851 Manuscrit peint sur parchemin
BnF, département des Manuscrits Latin 1
Réalisée dans l'abbaye Saint-Martin de Tours, cette monumentale Bible a été offerte par l'abbé Vivien à l'empereur Charles le Chauve. Vers la fin du volume, une somptueuse peinture en pleine page introduit l'Apocalypse. Ancien et Nouveau Testaments fusionnent dans une composition remarquable. Au registre supérieur, le livre scellé trônant sur un autel, le Cavalier blanc, les Vivants, l'Agneau et le Lion de Juda évoquent l'ouverture du premier sceau, tandis qu'au registre inférieur, la figure de Moïse est mêlée à des références de l'Apocalypse telles que saint Jean dévorant le livre.

LA VISION PRÉPARATOIRE ET
LES SEPT SCEAUX
L'Apocalypse s'ouvre avec la Révélation
que Dieu transmet par l'intermédiaire d'un ange à Jean sous la forme d'un livre. La première vision, saisissante, est celle du Fils de l'Homme au milieu de sept chandeliers d'or: la chevelure blanche comme neige, les yeux flamboyants, la bouche transpercée d'une épée à deux tranchants. De lui, Jean reçoit l'ordre d'écrire ce qu'il verra aux sept Églises d'Asie Mineure.
Dans les spectaculaires visions suivantes, apparaissent les grandes figures qui traversent le récit: Dieu sur son trône, adoré par
les vingt-quatre Vieillards, les quatre Vivants, le livre aux sept sceaux que seul l'Agneau parvient à briser. L'ouverture des quatre premiers sceaux libère successivement quatre Cavaliers, celle du cinquième révèle les martyrs, celle du sixième déclenche un violent tremblement de terre et une succession de calamités. L'ouverture du septième sceau initie un nouveau cycle, celui des sept trompettes.
Saint Jean agenouillé devant l'Ange
Tenture de l'Apocalypse
Paris, vers 1373-1380
Hennequin de Bruges (cartons), Nicolas Bataille (atelier de), Robert Poinçon (lissier) Tissage en fils de laine
Propriété de l'État, Direction régionale
des affaires culturelles des Pays-de-Loire. Tapisserie provenant du trésor de la cathédrale Saint-Maurice d'Angers, classée au titre des monuments historiques par arrêté du 6 juin 1902 et inscrite au Registre international Mémoire du Monde de l'UNESCO depuis le 18 mai 2023.

Kiki Smith (née en 1954)
Spiral Nebula
[Galaxie spirale]
2016
Aluminium
Courtesy Galerie Lelong & Co, Paris
ADAGP, Paris, 2025

Albrecht Dürer (1471-1528)
Sans titre
[Cavalier de l'Apocalypse]
1505
Fusain sur papier
British Museum, Londres
Achat au Col John Wingfield Malcolm, 1895

Têtes de Vieillards de l'Apocalypse
Saint-Denis, vers 1140 Pierre calcaire
Musée du Louvre, département des Sculptures, Paris
Ces trois têtes proviennent du portail
central de la façade occidentale de l'église abbatiale de Saint-Denis, consacré
par l'abbé Suger en 1140. Durant la Révolution, en août 1793, les sculptures de ce triple portail ont été mutilées. Les têtes appartiennent aux vingt-quatre Vieillards qui entouraient le Christ lors de sa seconde venue, (son retour lors de fin des temps). D'une remarquable stylisation, elles polarisent le regard
par leurs yeux écarquillés qui renvoient au thème de la vision, central dans le texte de Apocalypse


LES SEPT TROMPETTES
À la suite de l'ouverture du septième sceau, les anges reçoivent de Dieu sept trompettes dont le retentissement déclenche de nouveaux fléaux qui préfigurent la victoire du Bien sur le Mal. Les deux premières trompettes entrainent une pluie de grêle et de feu qui ravage la terre, puis changent le tiers de la mer en sang. La troisième précipite sur la terre l'étoile Absinthe, qui transforme les fleuves en eaux amères et mortelles. Avec la quatrième trompette, les ténèbres envahissent un tiers du jour, de la nuit et des astres, tandis qu'un aigle prophétise les malheurs encore à venir. La cinquième libère les locustes, sauterelles monstrueuses à queue de scorpion, qui, conduites par l'Ange de l'abîme, viennent tourmenter les habitants de la terre. Un tiers d'entre eux sont exterminés par les deux cents millions de cavaliers cuirassés de feu qui déferlent au son de la sixième trompette.

Kiki Smith
(née en 1954)
Crescent Bird
[Oiseau croissant de lune]
2015
Argent
Courtesy Galerie Lelong & Co, Paris
ADAGP, Paris, 2025

Kiki Smith (née en 1954)
Shooting star [Étoile filante]
2015
Argent
Courtesy Galerie Lelong & Co, Paris
ADAGP, Paris, 2025


LE COMBAT CONTRE LE DRAGON
Lorsqu'enfin retentit le son de la septième trompette, une grandiose apparition survient dans le ciel: une Femme enveloppée du soleil, la lune sous ses pieds, la tête ceinte de douze étoiles, donne naissance à un enfant mâle. Aussitôt, celui-ci est attaqué par un énorme Dragon écarlate à sept têtes et dix cornes, figure par excellence de l'Antéchrist. Tandis qu'un ange sauve l'enfant-né et le remet
à Dieu, un terrible combat oppose Michel et ses anges au Dragon et à ses cohortes infernales: ce combat, symbole de l'affrontement entre les puissances divines et le Mal, est l'un des épisodes de l'Apocalypse les plus repris dans l'art. Vaincu, le Dragon se lance à la poursuite de la Femme qui lui échappe.

La Femme de l'Apocalypse attaquée par le Dragon
Saint-Rieul de Senlis, 2° moitié du XIIe siècle Pierre calcaire
Musée du Louvre, département des Sculptures, Paris
Provenant d'un édifice dépendant de l'église Saint-Rieul de Senlis, ce fragment sculpté illustre l'épisode de la Femme enfantant un fils que le Dragon cherche aussitôt à dévorer. Cet épisode a été abondamment représenté dans l'enluminure, au contraire de la sculpture où il est rare. D'un traitement sommaire, les figures symbolisent la lutte éternelle entre le Christ et les ennemis de l'Église: la Vierge et Jésus forment ici un seul corps contre Satan dont la grande queue enroulée menace directement les deux protagonistes

Saint Michel
Castille (Espagne), 4° quart du XVe siècle Tempera sur bois de chêne (volet de retable)
Musée des Arts décoratifs, Paris

Crosseron représentant saint Michel terrassant le Dragon
Limoges, 2 quart du XIIIe siècle Email champlevé, cuivre doré
Musée de Cluny - musée national du Moyen Âge, Paris
Symbole de l'éternelle lutte du Bien contre le Mal, l'iconographie extrêmement répandue de saint Michel terrassant le Dragon est empruntée au récit de Jean, où l'archange et son armée chassent du ciel le Dragon qui s'apprêtait à dévorer l'enfant mâle de la Femme revêtue du soleil. Sur ce fragment de crosse qui servait de bâton pastoral aux évêques et aux abbés, la volute est formée du corps du Dragon. Au centre de celle-ci, saint Michel debout transperce de sa lance la gueule du monstre contorsionné.

Saint Michel terrassant le Dragon
Bourgogne, 1125-1150
Pierre calcaire, traces de polychromie, mastic
Musée du Louvre, département des Sculptures, Paris

Chute des anges rebelles
Attribué à l'atelier d'Everhard Rensig
ou de Gerhard Remisch, Allemagne, 1522 Vitrail
Victoria and Albert Museum, Londres Don de E.E. Cook Esquire

Projection
de panneaux de la Tenture de l'apôtre 
D-Twin
Conception: service des expositions

LES SEPT COUPES ET LA CHUTE DE BABYLONE
Le processus de purification du monde souillé par le péché débute lorsque sept anges reçoivent du temple sept coupes remplies de la colère divine. Les trois premières coupes de sang sont versées sur la terre, la mer et les sources, la quatrième sur le soleil qui s'embrase, la cinquième sur le trône de la Bête dont le royaume est alors plongé dans les ténèbres. La sixième coupe répandue sur le fleuve Euphrate fait, quant à elle, surgir des gueules du Dragon, de la Bête et
du Faux Prophète trois esprits impurs, à l'aspect repoussant de grenouilles, qui rassemblent les rois de la terre pour partir en guerre.
À la bataille d'Armageddon succède la septième coupe qui provoque la destruction de la cité de Babylone, demeure des démons,
et le jugement de la Grande Prostituée, mère de toutes les abominations, montée
sur la Bête écarlate à sept cornes et dix têtes.
Quatrième flacon versé sur le soleil Tenture de l'Apocalypse
Paris, vers 1373-1380
Hennequin de Bruges (cartons), Nicolas Bataille (atelier de), Robert Poinçon (lissier) Tissage en fils de laine
Propriété de l'État, Direction régionale des affaires culturelles des Pays-de-Loire. Tapisserie provenant du trésor de la cathédrale Saint-Maurice d'Angers, classée au titre des monuments historiques par arrêté du 6 juin 1902 et inscrite au Registre international Mémoire du Monde de l'UNESCO depuis le 18 mai 2023.
Mutilé, ce panneau a été découvert en 1849 sous la doublure de la tenture de l'Apocalypse d'Angers. Il représente le châtiment de la quatrième coupe administré sur l'ordre du temple par un Ange. L'Ange, ici invisible, déverse le flacon sur le soleil, lequel se transforme en un amas de nuées en ébullition dont les rayons de feu brûlent les hommes. Leurs gestes désordonnés et leurs visages accablés traduisent la violence du châtiment qui leur est infligé.
Cette exposition bénéficie du prêt exceptionnel de trois fragments de la tenture de l'Apocalypse d'Angers.

LE JUGEMENT DERNIER
Après la mise à mort de la Grande Prostituée et l'apparition du Christ sur son cheval blanc, le Dragon est enfermé dans l'abîme d'abord pour mille ans - échéance qui donnera lieu aux plus vives spéculations sur la date du retour de Satan - puis pour l'éternité, dans l'étang rougeoyant des enfers où il rejoint la Bête et le Faux Prophète. C'est alors que survient le Jugement dernier, grand jour de colère, qui inaugure l'instauration d'un nouvel ordre divin. Le Juge suprême répartit entre le camp des élus et celui des damnés les morts de tous les temps, selon leurs œuvres. La sobriété avec laquelle Jean évoque ce thème contraste avec l'iconographie foisonnante qu'il a suscitée à partir du Moyen Âge central, les artistes se plaisant à figurer la terrifique vision de la gueule de l'enfer, lieu des supplices éternels des pécheurs.

La résurrection des morts
Région parisienne, vers 1200
Vitrail
Musée de Cluny - musée national du Moyen Âge, Paris
Originaire d'une église de la région parisienne, ce vitrail a été remployé dans une verrière de la Sainte-Chapelle de Paris. La résurrection des morts qui y est dépeinte figure l'Ange sonnant de la trompette en direction des élus qui sortent de leurs sarcophages. La blancheur de leurs corps nus tranche sur les couleurs vives de l'arrière-plan. Ils se dépouillent de leur condition charnelle pour entrer dans la vie éternelle. La trompette de l'Ange, d'une taille particulièrement imposante, scelle le triomphe sur la mort.

Jugement dernier
Ecole flamande, Pays-Bas du sud, fin du XVe siècle Panneau central d'un retable
Peinture à l'huile sur bois transposée sur toile
Musée des Arts décoratifs, Paris
Détail de l'œuvre précédente 

LA JÉRUSALEM NOUVELLE
Au Jugement dernier succède la vision, lumineuse et apaisante, de la Jérusalem nouvelle, symbole de rédemption, dont la description minutieuse occupe l'ensemble de l'avant-dernier chapitre de l'Apocalypse. Faite d'or pur, transparente comme le cristal, la cité céleste resplendit des mille feux des douze pierres précieuses qui ornent ses remparts. Un ange mesure ses proportions carrées parfaites, douze anges en gardent les douze portes, et ses douze fondations portent les noms des douze apôtres. La qualité d'image mentale, visionnaire, de cette cité hors du temps, a donné lieu à une iconographie riche et complexe qui se rejoint autour d'un même défi: représenter avec des moyens sensibles l'incorporel, l'immatériel de la cité éternelle. Encore aujourd'hui, elle demeure un lieu de projection fantasmatique où se rejoue à l'infini l'avenir de notre monde.


Saint Jean devant le Christ Tenture de l'Apocalypse
Paris, vers 1373-1380
Hennequin de Bruges (cartons), Nicolas Bataille (atelier de), Robert Poinçon (lissier)
Tissage en fils de laine
Propriété de l'État, Direction régionale des affaires culturelles des Pays-de-Loire. Tapisserie provenant du trésor de la cathédrale Saint-Maurice d'Angers, classée au titre des monuments historiques par arrêté du 6 juin 1902 et inscrite au Registre international Mémoire du Monde de l'UNESCO depuis le 18 mai 2023

LE BEATUS
DE SAINT-SEVER
L'une des plus riches et somptueuses Apocalypses que nous a léguées le Moyen Âge est un manuscrit réalisé au XIe siècle dans l'abbaye de Saint-Sever en Gascogne. Commandé par l'abbé Grégoire de Montaner (1028-1072), cet imposant manuscrit renferme un ensemble de textes en latin et d'images organisé autour du récit. La partie principale est
un commentaire sur le texte johannique composé à la fin du VIIIe siècle par un moine espagnol, Beatus de Liébana. Elaborées par Beatus lui-même, la centaine d'images qui accompagnent le commentaire se distinguent par leur aspect monumental, leurs couleurs lumineuses et saturées et leur esthétique novatrice. La fascination que ces images exercent est encore immense: nombreux sont les artistes et les écrivains qui s'en sont nourris.

Béatus de Saint-Sever
Lumière sur les «quatre Cavaliers>>
BnF
Conception: service des expositions

L'APOCALYPSE SELON DÜRER
L'Apocalypse d'Albrecht Dürer (1471-1528) est un livre comprenant 15 grandes xylographies (gravures sur bois) éditées par l'artiste lui-même, en dehors de toute commande. Composée autour de 1498, c'est une œuvre de jeunesse, dont la virtuosité technique et l'inventivité formelle en a fait le succès immédiat, apportant à son auteur richesse et notoriété. Faire-valoir de son art, l'ouvrage privilégie pour la première fois l'image, à laquelle la place noble est réservée, par rapport au texte, renvoyé au verso. Dürer en a édité une version en allemand
et une autre en latin, dans une visée internationale. Le sens du détail et
le foisonnement iconographique des planches, leur diffusion très large, ont fait de cette œuvre une source d'inspiration pour
de très nombreux artistes jusqu'à nos jours.
Planche 1: Frontispice avec figures
Édition latine de 1511

Planche 3: Vision
des sept chandeliers
Édition latine de 1511

Planche 5: Les Quatre Cavaliers de l'Apocalypse
Édition latine de 1511

LE TEMPS DES CATASTROPHES
LA RÉVÉLATION À L'ÉPREUVE
DE LA RAISON
À l'exception de certains motifs dont le succès perdure, tel le Jugement dernier, la représentation du récit de l'Apocalypse semble céder du terrain à l'époque moderne. Certaines luttes, religieuses et sociales (guerres confessionnelles, révoltes millénaristes), en usent pour nourrir l'espoir d'un proche horizon révolutionnaire. Mais au-delà de ces contextes particuliers, la période est moins propice aux angoisses eschatologiques: la stabilisation des pouvoirs de l'Église et des États et l'avènement d'une forme de rationalisme contribuent à apaiser les angoisses
et éloigner les visions hallucinées de Jean.
Pourtant, lorsque la réalité des événements apparaît incommensurable (malheurs de la guerre, catastrophes naturelles, phénomènes cosmiques), les images de l'Apocalypse réapparaissent, comme en filigrane, pour leur donner sens. Les fléaux, hécatombes, atrocités apparus en vision à Jean se retrouvent ainsi dans les «<tristes pressentiments>> des Désastres de Goya. D'une lecture stricte de l'Apocalypse émerge alors une compréhension apocalyptique de la catastrophe.

Francisco de Goya (1746-1828)
Los Desastres de la guerra
[Les Désastres de la guerre]
Entre 1862 et 1863
BnF, département des Estampes
et de la photographie
Avec un trait nerveux et des scènes tour à tour réalistes et fantastiques, Goya met en scène dans cette célèbre suite gravée la violence inouïe et la barbarie qui s'abattent sur les plus faibles en temps de guerre. Il se porte témoin et dénonciateur des «<conséquences fatales de la guerre sanglante en Espagne avec Bonaparte», dans le contexte d'un grand désenchantement dans toute l'Europe. Avec la première planche, Tristes pressentiments de ce qui doit arriver, l'artiste se positionne aussi comme une figure visionnaire, à l'instar de Jean.

Planche 12: Para eso habeis nacido [Êtes-vous donc nés pour cela?]
Eau-forte, burin, pointe sèche et lavis d'aquatinte

Planche 27: Caridad
[Charité]
Eau-forte, pointe sèche, burin, lavis d'aquatinte et brunissoir

Planche 30: Estragos de la guerra
[Désastres de la guerre]
Eau-forte, pointe sèche, burin et brunissoir

Planche 39: Grande hazana! Con muertos!
[Grande prouesse! Contre des morts!]
Eau-forte, pointe sèche et lavis d'aquatinte

Planche 54: Clamores en vano [Vaines clameurs]
Eau-forte, lavis d'aquatinte, burin et brunissoir

Planche 55: Lo peor es pedir
[Le pire est qu'il faut mendier]
Eau-forte, lavis d'aquatinte et brunissoir

Planche 71: Contra el bien general
[Contre le bien général]
Eau-forte et brunissoir

Planche 72: Las resultas [Les conséquences]
Eau-forte

Planche 80: Si resucitara? [Ressuscitera-t-elle?]
Eau-forte et brunissoir

Planche 81: Fiero monstruo!
[Fier monstre!]
Vers 1870
Eau-forte, pointe sèche et burin

Xie Lei
(né en 1983)
Rescue
[Secours]
2022
Huile sur toile
Collection privée, Paris
ADAGP, Paris, 2025
Lointain écho aux nombreuses chutes
des damnés représentées dans les gravures des XVIe et XVIIe siècles, la peinture de Xie Lei s'est affranchie des bêtes diaboliques
et des cascades de corps précipités en enfer, pour se concentrer sur le mouvement suspendu d'un seul individu en train de sombrer.
Si la condamnation apparaît tout aussi définitive que dans les oeuvres de Brueghel ou de Rubens, le titre Rescue convoque également les dramatiques images contemporaines de migrants noyés et fait office de signal d'alerte

LE JUGEMENT DERNIER
Annoncé par les prophètes de l'Ancien Testament puis l'évangéliste Mathieu, le Jugement dernier est un point d'orgue dans la symphonie apocalyptique où le fracas des morts jetés dans l'étang de feu brise le silence d'une terre sans ciel. Cet épisode demeure une étape nécessaire à l'avènement de la nouvelle cité où Dieu régnera avec les Justes. S'il s'agit d'un court chapitre du texte de l'Apocalypse, ses visions terribles ont pourtant largement inspiré les artistes qui se sont emparés de l'image du tribunal suprême: apparition du Christ en majesté, convocation des damnés, omniprésence de la mort, contraste d'un blanc pur et d'un rouge feu réunis en un rituel ultime de purification.


Albrecht Dürer (1471-1528)
Le Jugement dernier
1495-1500
Encre sur papier
British Museum, Londres
Achat à Samuel Woodburn, 1854

Pieter Brueghel (1525-1569), attribué à
Damnés tourmentés par des diables et des animaux fantastiques
Avant 1569
Encre brune, pierre noire, plume
Musée du Louvre,
département des Arts graphiques, Paris

Jacques Callot (1592-1635)
La Tentation
de saint Antoine
1635
Eau-forte
BnF, département des Estampes et de la photographie

Richard Van Orley
(1663-1732), d'après
Pierre Paul Rubens (1577-1640)
Ducunt in bonis dies suos, et in puncto ad inferna descendunt [Leur vie s'achève dans le bonheur,
et ils descendent en un instant aux enfers]
Vers 1700
Eau-forte
BnF, département des Estampes et de la photographie

Pieter Claesz Soutman
(1580?-1657), d'après
Pierre Paul Rubens (1577-1640)
Sans titre
[La Chute des damnés]
1642
Eau-forte
BnF, département des Estampes et de la photographie

William Blake (1757-1827)
Night IX
[Nuit IX]
Vers 1795-1797
Page de texte imprimé, montée sur dessin à l'encre, lavis et aquarelle
British Museum, Londres
Don de Frances White Emerson, 1929

Henry Howard (1769-1847)
The Sixth Trumpet Soundeth
[La sixième trompette retentit]
1804
Huile sur toile
Royal Academy of Arts, Londres

Gustave Moreau (1826-1898)
La Parque et l'Ange de la mort
1890
Huile sur toile
Musée national Gustave Moreau, Paris
Dans cette peinture de Gustave Moreau, Atropos, la troisième Parque qui coupe le fil de la vie humaine, est accompagnée d'une figure évoquant le quatrième Cavalier de l'Apocalypse. L'artiste symboliste associe ainsi la mythologie grecque, l'un de ses univers de prédilection, avec le texte biblique, pour dépeindre une scène macabre sous un ciel inquiétant. Il réalise cette peinture alors qu'il porte le deuil d'une amie très proche, dont le décès est certainement vécu comme une apocalypse intime

RETRAIT DES DIEUX
ET SUBLIME APOCALYPTIQUE
Le rationalisme et le triomphe de nouveaux grands récits éclairant le futur, en premier lieu celui du progrès scientifique et de l'évolution humaine, auraient dû sonner le glas de l'Apocalypse. À rebours de ce constat, le XIXe siècle s'affirme comme une période profondément apocalyptique, dans le sillage notamment de la sensibilité romantique. De nouveaux cycles iconographiques complets (Redon), ou des motifs spécifiques (cavaliers, grande prostituée, anges aux trompettes), et plus généralement une atmosphère de sublime à la fois fascinante et terrifiante (nuées, déchaînement des éléments), en témoignent. Alors que triomphent la mécanisation, l'industrialisation, l'urbanisation, et un matérialisme effréné, le récit biblique rappelle que tout n'est pas à la mesure du genre humain. Il fait apparaître la menace ou l'espérance - de l'effondrement d'un monde corrompu et le retour
à une harmonie rêvée.

William Blake (1757-1827)
The Vision of the Last Judgment
[La Vision du Jugement dernier]
1808
Crayon, encre et aquarelle sur papier
Petworth House and Park, West Sussex (Angleterre

Détail du tableau précédent 

William Blake
(1757-1827)
The Whore of Babylon
[La Prostituée de Babylone]
1809
Aquarelle et encre sur papier
British Museum, Londres
Achat à A.E. Evans & Sons, 1847

William Blake
(1757-1827)
Death on a Pale Horse [La Mort sur son cheval pâle]
1800
Aquarelle, lavis et encre sur papier
The Fitzwilliam Museum, Cambridge Don des Amis du Fitzwilliam Museum, 1914
Ces aquarelles témoignent de la fascination de William Blake pour l'Apocalypse,
qui se mêle dans son travail au contexte politique troublé de l'époque. Les révolutions américaine et française puis les guerres napoléoniennes alimentent en effet une atmosphère de panique. Dans ce contexte, Blake imagine Londres comme la Grande Babylone dont le jugement approche.
La couronne et l'âge avancé du cavalier de la Mort convoquent eux la figure du roi George III tandis que son armure symbolise l'expansion impériale dont Blake dénonçait la violence.

Victor Hugo (1802-1885)
Torquemada
1869
Crayon, fusain, aquarelle grattés sur papier vélin
Maisons Victor Hugo, Paris / Guernesey
Torquemada est un drame en cinq actes et en vers qui n'a jamais été représenté du vivant de l'auteur. Ce dessin, éponyme de l'oeuvre de Victor Hugo, traduit l'atmosphère de fin des temps de cette pièce qui dénonce l'Inquisition espagnole et le fanatisme religieux. Ces derniers concepts sont incarnés par le personnage principal, inspiré de la figure historique du dominicain Tomás de Torquemada (1420-1498), qui se livre à de longs monologues apocalyptiques sur la noirceur du monde

Odilon Redon (1840-1916)
Apocalypse de Saint Jean
1899
Lithographie sur papier vélin
BnF, département des Estampes et de la photographie
À l'aube du XXe siècle, l'Apocalypse continue de fasciner, comme le montre cette suite gravée d'Odilon Redon. L'artiste a choisi douze épisodes du texte dont les extraits servent de légende à ses lithographies. Son mysticisme et son symbolisme sont particulièrement nourris par les chapitres qui mettent en scène le combat entre le Bien et le Mal. Jouant de puissants clairs-obscurs et alternant planches lumineuses et sombres, Redon évoque
ici l'entremêlement de l'inquiétude et de l'espoir, omniprésent dans l'Apocalypse.

Planche 1: << Et il avait
dans sa main droite sept étoiles, et de sa bouche sortait une épée aigüe à deux tranchants. >>

Planche 3: «<et celui qui était monté dessus se nommait la Mort

Planche 6: «... une femme
revêtue du Soleil >>>

Planche 10: «Et le diable qui
les séduisait, fut jeté dans l'étang de feu et de soufre, où est la bête et le faux prophète >>

Planche 12: «C'est moi, Jean,
qui ai vu et qui ai ouï ces choses. >>

Le Douanier Rousseau (Henri Rousseau, dit)
(1844-1910)
La Guerre
Vers 1894
Huile sur toile
Musée d'Orsay, Paris
Les Cavaliers de l'Apocalypse font sans doute partie des références d'Henri Rousseau lorsqu'il peint cette cavalière belliqueuse. Dans un paysage dévasté et sous un ciel crépusculaire, elle brandit une épée, attribut du deuxième Cavalier qui a le pouvoir «d'ôter la paix de dessus la terre». Les corbeaux, se délectant des amas de chair humaine, évoquent l'invitation faite aux oiseaux par l'Ange apocalyptique: «Venez, et assemblez-vous au grand souper de Dieu, pour manger la chair des rois, la chair des officiers de guerre ».

SIGNES
L'Apocalypse est un texte cryptique. De nombreux symboles tissent le texte, prenant notamment des formes animales (agneau, lions, sauterelles), chromatiques (le rouge et l'or), élémentaires (le feu et l'eau) ou numériques (7, 12, 666). Les signes qui le jalonnent ont autant infusé la culture populaire que savante. Ils ont été scrutés et décrits avec fascination comme annonciateurs d'une Révélation imminente. Phénomènes célestes, tels que les comètes; catastrophes naturelles, comme les tremblements de terre et événements historiques ou personnages notables (épidémies, guerres, révolutions et leurs meneurs) sont ainsi, jusqu'à aujourd'hui, observés par certains au prisme de l'Apocalypse, dans la peur ou l'espoir du déferlement de la colère divine.

Abdelkader Benchamma
(né en 1975)
Sans titre
2024
Encre et stylo bille sur papier marouflé
Collection privée, Paris
Courtesy de l'artiste et de la galerie Templon, Paris ADAGP, Paris, 2025

APOCALYPSE
SANS ROYAUME
Le XXe siècle est celui des grandes catastrophes: les guerres, dans leur technicité nouvelle, sans cesse plus destructrices jusqu'à l'absolu de l'arme nucléaire; les génocides et en premier lieu la Shoah (littéralement «catastrophe >>) anéantissant toute valeur morale ou humaine; l'effondrement écologique qui offre la perspective concrète d'une disparition prochaine
de l'humanité. Malgré le recul de la culture religieuse, l'Apocalypse semble conserver sa place de grand récit symbolique susceptible de répondre au besoin de comprendre les épreuves du temps présent. De nombreux artistes puisent dans le texte et ses images un matériau pour témoigner de la vie sur Terre devenue enfer. D'autres se souviennent que l'Apocalypse, originellement, promet un «à-venir >>. Dans leurs compositions où le monde se disloque, perd sa forme, ils cherchent la possibilité
d'un après, fût-ce une Révélation sans Royaume


Otto Dix (1891-1969)
Der Krieg
[La Guerre]
1924
Eau-forte
Historial de la Grande Guerre -
Conseil départemental de la Somme, Péronne ADAGP, Paris, 2025
Engagé volontairement lors de la Première Guerre mondiale, parti au front avec la Bible et Le Gai savoir de Nietzsche (1882), Otto Dix revient désillusionné et traumatisé par son expérience des tranchées. Toujours hanté dix ans après le début du conflit, il réalise un album de cinquante estampes, Der Krieg, pour en dénoncer les atrocités. Avec son œil acerbe, l'artiste utilise toutes les nuances et les possibilités de l'eau-forte pour décliner des scènes macabres et cruelles, au sein desquelles certains fléaux (séisme, chute d'étoile) et personnages apocalyptiques (la Grande Prostituée et les rois de la terre) semblent ressurgir

Planche 9 du portfolio II: Totentanz anno 17
Höhe Toter Mann
[Danse macabre, année 17 - Hauteur du Mort-Homme

Planche 3 du portfolio III: Toter
im Schlamm
[Mort dans la boue

Planche 9 du portfolio I: Zerfallender Kampfgraben
[Tranchée de combat s'écroulant]

Jean-Christophe Chauzy
(né en 1964)
Planche de la bande
dessinée Le Reste du monde Tome 2: Le Monde d'après
Éditions Casterman, Paris
2016
Aquarelle
Collection de l'artiste

Pierre Albert-Birot (1876-1967)
La Guerre
1916
Huile sur toile
Centre Pompidou, MNAM / CCI, Paris
Vassily Kandinsky (1866-1944)
Jüngster Tag
[Le Jour du Jugement dernier]
1912
Peinture à l'eau et encre de Chine sous verre
Centre Pompidou, MNAM / CCI, Paris
Ce chef-d'œuvre de Kandinsky est l'aboutissement de plusieurs années de travail sur le thème de l'Apocalypse et plus précisément du Jugement dernier. Entre 1910 et 1913, une intense réflexion occupe
en effet l'artiste qui souhaite faire advenir une plus grande spiritualité dans l'art. Ce «grand combat» fait de lui un artiste-prophète
et le mène à dissoudre les motifs figuratifs
du Jugement dernier dans un langage
pictural de plus en plus abstrait. La trompette annonciatrice, peinte en jaune, est l'un
des derniers éléments discernables.

Vassily Kandinsky (1866-1944)
Mit Reiter
[Avec cavalier]
1912
Peinture à l'eau sous verre ondulé
Centre Pompidou, MNAM/CCI, Paris

Josef Weisz
(1894-1969)
Angel showing
St John the new Earth
[L'Ange montrant à saint Jean la nouvelle Jérusalem]
1919
Xylographie
Victoria and Albert Museum, Londres

Josef Weisz (1894-1969)
The Three armoured Horsemen of the Apocalypse
[Les Trois Cavaliers
cuirassés de l'Apocalypse]
1919
Xylographie
Victoria and Albert

Josef Weisz
(1894-1969)
The Four trumpetting Angels of the Apocalypse
[Les Quatre Anges à la trompette de l'Apocalypse]
1919
Xylographie
Victoria and Albert Museum, Londres

Natalia Gontcharova (1881-1962)
Воина
[Les Images mystiques de la guerre]
Planche XII: Le Cheval pâle

1914
Lithographie sur papier
BnF, département des Estampes
et de la photographie
Natalia Gontcharova réalise ses premières lithographies au début de la Première Guerre mondiale. Elle y mêle icônes religieuses et éléments de la guerre moderne, art folklorique russe
et motifs apocalyptiques. Depuis 1910, l'Apocalypse occupe une certaine place dans le travail
de l'artiste qui considère, dans un esprit proche de celui de Kandinsky, que la société matérialiste doit laisser place à une plus grande spiritualité. Ainsi, dans ces planches, des anges aident les Russes en combattant des avions ennemis, tandis que l'archange Michel, figure du Bien, combat le Mal représenté par la Femme sur la Bête.

BABYLONE
Abondamment mentionnée dans l'Ancien et le Nouveau Testament, «Babylone la grande, la mère des prostituées et des abominations de la terre>>, est citée cinq fois dans l'Apocalypse. À l'heure de la rédaction du texte johannique (ler s.), Babylone n'est déjà plus que le nom mythique d'une capitale abolie, cœur d'un empire disparu. Elle y figure néanmoins comme flamboyant symbole de la grande ville perdue, lieu de tous les péchés et de toutes les dépravations, anti-Jérusalem céleste. Héritière de Sodome et Gomorrhe, associée historiquement à la Rome impériale, elle est l'archetype de la puissance terrestre dévoyée, promise pour cette raison à la chute.
Les artistes du XXe siècle, en particulier autour de la Première Guerre mondiale, ont largement exploité ce motif, en observant la croissance débridée des nouvelles métropoles et le triomphe en leur sein du vice sur la vertu.
Laurent Grasso (né en 1972)
Studies into the Past
Non date
Huile sur panneau de bois
Courtesy de l'artiste
et de la galerie Perrotin, Paris ADAGP, Paris, 2025

Otto Dix
(1891-1969)
Erinnerungen an die Spiegelsäle von Brüssel
[Souvenirs de la galerie
des glaces à Bruxelles]
1920
Huile et glacis sur fond d'argent sur toile
Centre Pompidou, MNAM/CCI, Paris ADAGP, Paris, 2025
Ce célèbre tableau d'Otto Dix dépeint un couple monstrueux dans le décor d'un bordel pendant la guerre. Si la référence est d'abord historique (la galerie des glaces était un lieu de prostitution fameux pour les officiers allemands),
il est possible néanmoins d'y lire également une référence à l'Apocalypse. Grand lecteur de la Bible, l'artiste aime à superposer à la représentation de personnages contemporains des figures archétypales: ici, il semble convier les motifs de la Grande Prostituée
de Babylone, assise sur la Bête et pervertissant les rois de la terre>>.

Anonyme
Lisbone abysmée
[Lisbonne détruite]
Vers 1755
Eau-forte
BnF, département des Estampes
et de la photographie

Cornelis Anthonisz
(vers 1505-1553)
Sans titre
[Chute de la tour de Babel]
1547 Eau-forte
British Museum, Londres Achat à Obach & Co, 1871

Ludwig Meidner (1884-1966)
Apockalyptische Landschaft
[Paysage apocalyptique]
1914
Encre sur papier
British Museum, Londres
Achat à Hildegard Friz-Denneville Fine Arts Ltd, 1999
Ceija Stojka (1933-2013)
Cadavres
2007
Technique mixte sur toile
Collection Antoine de Galbert, Paris ADAGP, Paris, 2025
Déportée avec sa famille par les nazis alors qu'elle n'était qu'une enfant, Ceija Stojka ne se met à écrire et peindre qu'à partir des années 1980. Si ses oeuvres convoquent souvent son expérience des camps, Cadavres, ici présentée, fait partie de ses toiles les plus sombres. La nuée de volatiles enchevêtrée
à de nombreuses croix gammées nazies évoque à la fois l'Aigle de malheur de l'Apocalypse, ici démultiplié, et les oiseaux invités par l'Ange dans le texte de Jean à "manger [...] la chair de tous les hommes libres et esclaves, petits et grands"

Ceija Stojka (1933-2013)
Auschwitz 1944
18 mai 2009
Acrylique et peinture argentée sur toile
Collection Antoine de Galbert, Paris ADAGP, Paris, 2025

Ceija Stojka (1933-2013)
Sans titre
1995
Acrylique sur papier cartonné
Collection Antoine de Galbert, Paris ADAGP, Paris, 2025

Ceija Stojka (1933-2013)
Z. B. [Zyklon B] Chambre à gaz le 02.08.1944 à Auschwitz. La liquidation finale
2 février 2006
Encre, acrylique et sable coloré sur carton
Collection Antoine de Galbert, Paris
ADAGP, Paris, 2025

Germaine Richier (1902-1959)
Le Cheval à six têtes,
grand
1954-1956
Bronze
Centre Pompidou, MNAM/CCI, Paris ADAGP, Paris, 2025
Cette impressionnante sculpture de Germaine Richier est le fruit de la rencontre entre des références religieuses, mythologiques et de culture camarguaise, faisant surgir un animal fantastique dont les multiples têtes semblent matérialiser le mouvement du cheval au galop. La technique des fils agrémentés de plâtre, caractéristique du travail de Richier, donne au cheval une apparence âpre et décharnée, évoquant par son aspect fantomatique et
macabre le motif des Cavaliers de l'Apocalypse

Jean Fautrier (1898-1964)
Tête d'otage
1945
Huile sur papier marouflé sur toile
Centre Pompidou, MNAM/CCI, Paris ADAGP, Paris, 2025

Judit Reigl (1923-2020)
Ils ont soif insatiable de l'infini
1950
Huile sur toile
Centre Pompidou, MNAM/CCI, Paris ADAGP, Paris, 2025
Judit Reigl, qui a fui la Hongrie communiste, réalise peu après son arrivée en France cette peinture d'où se dégage une atmosphère à l'inquiétante étrangeté surréaliste. Le dessin préparatoire l'accompagnant laisse peu de doute sur la référence de cette œuvre aux quatre Cavaliers de l'Apocalypse. Les Cavaliers et leur monture y ont cependant perdu tous leurs attributs apocalyptiques et leur caractère effrayant. Ils semblent en revanche pris dans une course effrénée pour fuir - ou conquérir - quelque chose qui nous reste inconnu.

LE JOUR D'APRÈS
Tout le récit de l'Apocalypse de Jean avait pour point de mire l'instauration du Royaume divin. Aujourd'hui, derrière les catastrophes que nous traversons peine à se dessiner une quelconque Révélation. C'est pourtant sur ce jour d'après que se forgent encore les plus inventives fictions et représentations. Hantée par les erreurs de l'humanité (course à l'armement nucléaire, délire technologique, destruction des mondes naturels) intensifiées depuis la Seconde Guerre mondiale, la vision de cet «à-venir» se décline souvent en images sombres, véhiculées par le genre post-apocalyptique dans la littérature, au cinéma et dans la bande dessinée, ou aboutissant, chez de nombreux artistes, à la vision d'un monde renaissant sans nous.
D'autres auteurs et artistes commencent
à imaginer les possibilités d'une «nouvelle alliance>> dans un monde où la place de l'humain serait radicalement repensée. Le temps apocalyptique que nous vivons constituerait alors bien un kairos, un moment de saisie de l'histoire, nous invitant, dans un monde en ruine, à ajuster les conditions de notre existence.

Anne Imhof (née en 1978)
Sans titre
2022
Huile sur toile imprimée
Pinault Collection, Paris
Avec ce format monumental, rien ne semble pouvoir échapper à l'explosion dévastatrice et son nuage de fumée occultant tout horizon. Si cette œuvre rappelle le sublime apocalyptique anglais du XIXe siècle,
elle n'en demeure pas moins intemporelle en se faisant synthèse de multiples explosions, si ce n'est de toutes. Conçue à partir
des images de plusieurs explosions advenues, la trame de fond est imprimée sur toile. Anne Imhof vient ensuite peindre sur cette dernière, minutieusement et à la main, comme pour suspendre ou prolonger l'instant d'après la destruction, et ainsi engendrer une nouvelle création.
Ali Cherri (né en 1976)
Arbre de vie
2024
Bronze, acier
Courtesy de l'artiste et de la galerie
Imane Farès, Paris
Présent dans différentes cultures, l'arbre de vie véhicule une grande richesse symbolique. Dans l'Apocalypse, il est mentionné dans la lettre à l'Église d'Ephèse puis pour décrire la Jérusalem céleste: «Au milieu de la place de la ville, sur les deux rivages du fleuve, était l'arbre de vie, qui porte douze fruits et rend son fruit chaque mois, et les feuilles de l'arbre sont pour guérir les nations.»> Ali Cherri a choisi pour modèle de sa sculpture un bas-relief assyrien conservé au Louvre. Pour lui, l'arbre de vie symbolise le cycle du vivant

Tacita Dean
(née en 1965)
The Book End of Time
[Le Livre fin du temps]
2013
Photographie
Pinault collection, Paris

Miriam Cahn (née en 1949)
Atombombe [Bombe atomique]
4 mars 1991
Aquarelle sur papier
Courtesy galerie Jocelyn Wolff, Romainville
Militante antinucléaire, Miriam Cahn réalise la série des Atombombe dans un paysage international marqué par la fin de la guerre froide, la guerre Iran-Irak et les prémices de la première guerre du Golfe. Les couleurs vives employées dans ces aquarelles matérialisent l'ambivalence des émotions suscitées par la bombe atomique, entre fascination et terreur, dualité au coeur même du concept de sublime. Cette dichotomie du sublime, intensifiée par la présentation de l'œuvre à hauteur du regard, participe d'une suspension du temps, de ce moment juste avant la révélation de la dévastation.

Sabine Mirlesse (née en 1986)
Anchor no. 1, Anchor no. 2, Anchor no.3
2024
Verre, corde de navigation, soie,
sel de l'Adriatique et de Janubio, bronze, coton
Courtesy de l'artiste et d'Andréhn-Schiptjenko, Paris ADAGP, Paris, 2025

Otobong Nkanga (née en 1974)
Unearthed - Midnight
[Révélé - Minuit]
2021
Tapisserie
Collection privée
courtesy Galerie In Situ - fabienne leclerc, Grand Paris
Comme deux des trois autres tapisseries du cycle Unearthed d'Otobong Nkanga, cette œuvre monumentale figure un paysage inquiétant pour dénoncer les politiques de surexploitation des fonds marins. La présence humaine s'y résume à des membres disloqués évoquant des bras robotiques qui participent à la destruction des océans et de la vie qu'ils abritent. Symboles de la dislocation de notre civilisation, ces bras de cyborgs nourriront peut-être de nouvelles formes de vie du monde marin.

Abdelkader Benchamma
(né en 1975)
L'Horizon des événements
2018-2019
Tryptique, encre sur papier
Courtesy de l'artiste et de la galerie Templon, Paris ADAGP, Paris, 2025
Le titre de ce grand triptyque fait référence à un concept scientifique lié à l'espace et imaginé pour définir le périmètre qui peut être affecté dans le futur par un agent localisé dans un espace-temps donné. Inspiré par les phénomènes cosmiques, Benchamma dessine ici un grand déluge, un chaos au cœur de la matière, qui pourrait évoquer tant le bigbang que les trous noirs. Le tumulte de l'encre laisse place à une interprétation ouverte quant à l'évolution de cette matière, depuis l'origine de l'univers jusqu'à la fin de toute chose.

Kiki Smith (née en 1954)
Earth [Terre]
2012
Tapisserie Jacquard en coton, exemplaire 6/10
Courtesy de la Galerie Lelong & Co., Paris ADAGP, Paris, 2025
Dans une version personnelle du jardin d'Éden, Kiki Smith figure une Ève qui n'a plus honte de sa nudité et entretient une relation pacifiée avec le serpent. Cette scène paisible invite à une nouvelle concorde, une union renouvelée de l'humanité avec le monde vivant dont elle fait partie. Chez Kiki Smith, cet Éden retrouvé, devenu nouvelle Jérusalem, n'a pas de hautes murailles, elle est ouverte et continue, elle n'accueille pas que les élus mais aussi le serpent, elle ne vient pas du ciel mais s'ancre dans la terre, elle est la Terre.

Ilanit Illouz
(née en 1977)
Le Vert et le Gris
2024
Technique mixte
Courtesy de l'artiste
et de la galerie Anne-Laure Buffard, Paris
ADAGP, Paris, 2025

Sabine Mirlesse
(née en 1986)
Divining lungs no.6
2024
Bronze, pigments naturels de zeolite
Courtesy de l'artiste et d'Andréhn-Schiptjenko, Paris ADAGP, Paris, 2025


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